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Dal sito del quotidiano svizzero Le Courrier
Intervista, realizzata da Benito Perez con Gabriela Fuentes. Testo integrale francese.
18 giugno 2003
http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_516.htm
Au Venezuela, les médias alternatifs commencent à faire de l'ombre aux radios et TV privées.
«Pas de révolution populaire sans prise de parole»
La changement social en cours au Venezuela n'est pas qu'éducation, répartition des terres et logement populaire. Il s'exprime aussi dans la sphère médiatique, où des dizaines de radios et télévisions communautaires sont nées ces trois dernières années sous l'effet de la nouvelle Constitution. Pour Gabriela Fuentes, fondatrice d'une TV libre, cette profusion illustre la soif d'expression qui s'est saisie des Vénézuéliens..
Elle n'a pas le profil d'une journaliste, encore moins d'une directrice de télévision. Le verbe tranché, militant; la jeunesse enthousiaste. Et pourtant, à à peine 30 ans Gabriela Fuentes a déjà fondé «sa» chaîne et préside aujourd'hui l'Association nationale de médias communautaires, libres et alternatifs (ANMCLA)1.
La responsabilité est lourde. Fondée il y a tout juste un an, cette organisation regroupe la plupart des quatre-vingt radios et télévisions libres et communautaires du Venezuela. Un vaste mouvement qui s'est fixé pour «simples» objectifs de concurrencer les géants de la communication commerciale et de redonner la parole aux populations pauvres des quartiers et des campagnes.
Cinéaste de formation, Gabriela Fuentes a participé il y a trois ans à la fondation de la première télévision libre du pays, Catia TVE - présente dans plusieurs quartiers populaires de Caracas. De passage à Genève, elle explique au Courrier les succès et les écueils rencontrés par ces médias locaux autogérés. Médias qui ont trouvé, dans le processus révolutionnaire vénézuélien, un terreau fertile.
Le Courrier: Qu'est-ce qu'un «média communautaire libre alternatif»?
Gabriela González Fuentes: Globalement, ce sont des médias électroniques - radio, TV, Internet - qui ne dépendent ni du capital privé ni de l'Etat. Ils prétendent développer ce que nous appelons la «propriété sociale des moyens de communication».
»Derrière ce concept, il y a une idée simple: la plupart des Constitutions à travers le monde décrètent le droit pour tous de communiquer, d'avoir un libre accès à une information véridique. En revanche, aucune législation ne garantit que ce droit se concrétise. Lorsqu'une Constitution indique que chaque citoyen a droit à l'éducation, la loi oblige l'Etat à construire des écoles. Pour le droit à la santé, on fait des hôpitaux. Eh bien, pour que s'applique le droit à la communication et à l'information, la loi vénézuélienne estime que la population doit disposer de moyens de communication. C'est pourquoi, depuis l'adoption de la nouvelle Constitution (acceptée par référendum en 1999, ndlr), puis de la loi sur les télécommunications, l'Etat a légalisé et réglementé ces médias. Le gouvernement a désormais l'obligation de nous aider. Ce qu'il fait en attribuant gratuitement des fréquences aux projets qui respectent la loi.
»Mais attention, ces médias ne sont pas des instruments étatiques ou des organes éducatifs comme on l'entend classiquement, du haut vers le bas. Ce sont des médias «construits» par et pour les communautés concernées. Par essence, ils sont locaux, couvrant un quartier ou un village.
»Pour mieux expliquer cette spécificité, nous prennons souvent l'image d'une imprimerie. Cette dernière est un moyen physique permettant d'imprimer un livre. Elle n'en définit pas le contenu... Eh bien, avec les médias libres c'est la même chose: ils sont des instruments au service de la communauté qui, elle, décide et réalise les programmes. Cet aspect communautaire est d'ailleurs garanti par la loi, qui oblige à passer au moins 70% de programmes produits par des habitants de la zone couverte. Pour ce faire, nous avons aussi l'obligation de mettre sur pied des ateliers de formation. Nous allons auprès des ouvriers, des mères de famille, des jeunes et nous leur expliquons comment on réalise un programme radio, de télé, etc.
»Enfin, le terme «alternatif» fait référence au système dominant de communication, et «libre» signifie qu'il n'y a aucune censure, ni du capital, ni de l'Etat, ni des participants au média.
Comment se décide la programmation?
- Chaque groupe de participants, réuni en équipe de production, décide de façon autonome du contenu de ses émissions. A Catia TVE, les tranches horaires et l'organisation générale sont gérées par des assemblées hebdomadaires, en collaboration avec une équipe de quatre «gestionnaires». Je n'ai jamais eu connaissance de problèmes de répartition des plages, notamment parce que la production est inférieure à la place disponible. Le fait que les participants proviennent tous de la communauté aide aussi à ce que les négociations se passent bien.
»Tout cela rend la censure impossible. Si quelqu'un n'est pas d'accord avec un programme, il n'a qu'à faire le sien pour le dire! En fait, l'idée de base est d'être aussi pluraliste que possible. C'est inscrit dans la loi. Et si ce principe n'est pas respecté (par exemple si des gestionnaires tentent de s'arroger le pouvoir au détriment des producteurs), une plainte peut être déposée et la concession est remise en question.
Qui participe à ces médias?
- Tous les secteurs populaires sont représentés. Mais il est important de souligner que les femmes sont plus nombreuses à s'investir! Comme elle passent davantage de temps dans leur quartier, elle se sont senties plus impliquées et ont joué un rôle décisif dans la consolidation des médias libres. Cela a rendu l'expérience encore plus intéressante: pour une fois ce n'est pas le journaliste professionnel, homme, blanc, aisé qui impose sa «théorie». Elle s'est construite dans la réalité grâce à l'effort de femmes noires, habitant des quartiers pauvres!
Y a-t-il des professionnels?
- Très peu. Aucun journaliste ne l'est. Par contre, des cinéastes ou des documentalistes nous aident à former les équipes de production.
Que trouve-t-on sur ces médias?
- On trouve de tout! Des jeunes font des programmes de musique, de sport, il y a des femmes qui font de l'éducation sexuelle, de la cuisine, de la littérature. D'autres parlent de l'histoire du quartier, de politique, etc. Mais comme ce sont les gens de la communauté qui décident, les émissions portent en priorité sur des problèmes ou des initiatives sociales ou culturelles locales. Ce sont des sujets qui touchent au cour des gens et qui les motivent. Lorsque vous réalisez une émission sur l'histoire de votre quartier, d'une certaine façon, vous affirmez votre identité, vous «grandissez». Finalement, le processus créatif est encore plus important que le produit.
1 Voir: www.medioscomunitarios.org
Un «énorme» potentiel, malgré le dénuement
Comment sont nés ces médias? A quel besoin ont-ils répondu?
- Il en existe depuis plus de trente ans. Dans les années soixante, pendant le boum du cinéma latino-américain et la grande effervescence politique, des d'universitaires sont allés dans les quartiers pour réaliser des films et les projeter. Peu après sont arrivés les premiers médias alternatifs. Cette dynamique a quelque peu reflué dans les années quatre-vingt, mais les gens des quartiers ont gardé en mémoire qu'il était possible pour chacun de communiquer. Certains ont continué à produire et à diffuser des films. On faisait aussi des fêtes où l'on remplaçait la radio par un porte-voix qui diffusait des informations. Dans les années nonante, avec l'apparition des nouvelles technologies, des médias ont ressurgi. Ils ont été pourchassés par le gouvernement jusqu'au jour où l'on a obtenu leur légalisation. Désormais, le Venezuela compte quelque quatre-vingt radios et cinq télévisions communautaires libres, sans compter les trois projets de TV presque prêts à démarrer...
»C'est un phénomène extrêmement intéressant, car au moment où, dans le monde entier, les communications se globalisent, alors que les transnationales du secteur sont toujours plus puissantes, le modèle qui se développe ici revendique une production locale, respectueuse des intérêts des populations pauvres, et empêche l'hégémonie d'une petite partie de la population sur la communication.
Quelle est la marge de progression de ces médias. Peut-on imaginer que chaque village, chaque quartier ait le sien?
- La marge de progression est énorme! Les médias qui fonctionnent déjà reçoivent quotidiennement des demandes de communautés ou de personnes intéressées. Notre objectif est effectivement qu'à terme chaque collectivité ait sa radio et sa TV communautaires.
Trois Vénézuéliens sur quatre vivent en dessous du seuil de pauvreté. N'ont-ils rien de plus urgent que de s'investir dans un média?
- Il y a une envie profonde chez les gens de reprendre la parole, d'affirmer leur identité. C'est un phénomène absolument sous-estimé. Le Venezuela a une immense richesse culturelle et sociale méconnue, car une partie de la population a été systématiquement occultée. Au-delà de l'exclusion du travail ou de l'éducation, il y a une forme d'«ignorance», d'effacement du peuple. Aujourd'hui, il reprend la parole.
Si l'on vous comprend bien, changement social et médias libres vont de pair...
- A titre personnel, je le pense. Vous ne pouvez impulser un changement social si la parole est monopolisée par l'autre. Pour construire tous ensemble la société dont nous rêvons, nous devons tous avoir un espace pour nous exprimer. Sinon ce sera un autre qui fera le changement à notre place. Or, telle n'est pas la révolution que nous sommes en train de réaliser. BPz
«Nous sommes un danger pour leur hégémonie»
Tout n'est pas rose cependant pour les médias libres au Venezuela. Des agressions contre des animateurs ont été dénoncées.
- L'émergence des médias électroniques communautaires représente clairement un danger pour les moyens de communication dominants qui possédaient auparavant une totale hégémonie sur l'information. Ce d'autant plus qu'actuellement un projet politique révolutionnaire les a dépossédés du contrôle de l'Etat et tente de mettre en ouvre plusieurs réformes sociales qui déplaisent aux groupes économiques représentés par ces médias. D'où la terrible campagne que ceux-ci ont lancés pour essayer de nous décrédibiliser. Ils nous ont accusés d'être subventionnés par la guérilla colombienne, d'être une création de Raul Castro (No 2 de l'Etat cubain, ndlr) ou encore d'inféodation au Gouvernement (vénézuélien, ndlr). Régulièrement, des journalistes indépendants subissent des agressions des polices municipales aux mains de l'opposition.
»La preuve de la peur qu'on leur inspire est qu'au premier jour du coup d'Etat (d'avril 2002, ndlr), les putschistes ont fermé tous les médias communautaires!
»Mais ce qu'ils craignent par-dessus tout, c'est que ce modèle prenne racine. Cela impliquerait que les dépossédés affirment leur droit à la parole. De même, ils s'opposent de toute leur force au projet de loi sur le contenu des programmes, qui propose que 15% ou 20% des émissions diffusées soient produites par des indépendants. Or, selon nous, la seule façon de rendre les médias démocratiques et pluralistes, ce n'est pas compter sur un directeur des programmes très objectif et qui comprend tout, mais qu'il y ait un espace garanti aux diverses voix. Cela, les propriétaires des médias dominants ne le supportent pas, car cela heurte leur message unique. Ils savent parfaitement que l'une des guerres les plus importantes menées aujourd'hui sur la planète est celle pour le contrôle de l'information. Et le moindre espace, même modeste, en rupture avec cette logique constitue un danger.
Quel est aujourd'hui le poids réel des médias libres au niveau national?
- Il faut savoir que nous n'avons que peu de moyens financiers. Nous ne bénéficions d'aucune subvention ni de publicité. Nos médias ne vivent que de la générosité des communautés, qui par exemple organisent des fêtes ou des tombolas pour nous financer, et de la sueur de ses participants. De plus, nous n'émettons que dans des zones très limitées et à des horaires réduits. Tout cela limite notre influence.
Souhaiteriez-vous être subventionnés?
- L'Etat a pour responsabilité constitutionnelle de soutenir les médias communautaires. Il devrait donc au minimum subventionner notre travail de formation auprès des populations. Cela dit, si l'Etat nous allouais des subsides, il nous faudrait élargir nos sources de financement, afin de préserver notre indépendance. Nous ne sommes pas l'instrument de l'Etat, nous appartenons à notre communauté!
Peut-on envisager à terme la création de médias alternatifs non locaux?
- Oui et non. Nous cherchons à développer un moyen technique permettant de diffuser en réseau. On pourrait ainsi faire connaître d'autres réalités, faire des échanges. Une émission produite dans une région disposerait tout d'un coup d'une audience nationale. Comme nous n'avons pas résolu le problème technique, pour l'heure, nous voyageons de ville en ville avec nos cassettes...
»Reste que la dynamique est présente: avec leur propagande massive, les médias commerciaux se sont discrédités. Durant la grève ou le coup d'Etat, ils ont menti éhontément, affolé la population. Des médias ont par exemple assuré qu'une raffinerie était sur le point d'exploser, etc. De plus en plus de gens sont conscients des intérêts défendus par ces médias. Et ils se tournent désormais vers cette autre voix qui commence à se faire entendre. BPz
Au secours de la TV publique!
Malgré vos moyens limités, vous avez joué un rôle important durant le putsch...
- L'action des médias communautaires a été fondamentale pour que l'opinion publique, notamment internationale, se rende compte de ce qui se passait. Car le blocus des putschistes sur l'information était presque total. Ils n'on pas hésité, par exemple, à faire des montages pour tromper l'opinion.
»Face à cela, nous avons pu mettre sur pied des réseaux internes de communication pour faire circuler les informations recueillies par chaque média; nous sommes sortis dans les quartiers munis de mégaphones; nous avons envoyé à l'étranger notre matériel, notamment par le biais d'Internet... Nous avons tenté d'occuper tous les petits espaces dont nous disposions encore après la fermeture de nos sièges.
»Mais l'action la plus fondamentale a eu lieu le dernier jour du putsch, lorsque, avec d'autres membres de médias libres, nous avons repris le canal de la TV publique, dont les ondes couvrent tout le pays. Ce fut une véritable odyssée. Pour des gens qui viennent de tout petits médias, faire fonctionner quelque chose de si immense...
»Mais nous y sommes parvenus. Nous avons pu filmer ce qui se déroulait dans le palais présidentiel, les déclarations des pouvoirs judiciaire, législatif... Même CNN a fini par se connecter sur nous! Beaucoup de camarades ont risqué leur vie, certains ont été blessés. Mais ça a valu la peine! Une part du discrédit des médias privés vient de ce travail d'information réalisé à ce moment-là. BPz